Quand je serai grande, je ferai cinéaste anglaise

Dans mon Moleskine de filmmakeuse, cette citation d’Andrea Arnold, une des mes cinéastes favorites. Ces mots plein d’humanité et de sagesse illustrent parfaitement le genre de cinéma qui m’influence, et que je souhaite faire…

Parmi les influences directes de mon univers filmique, il y a Gus Van Sant bien entendu, et puis Jean-Luc Godard, Gregg Araki, Larry Clark, Wim Wenders, Agnès Varda, Jim Jarmusch, Jane Campion, et d’autres cinéastes de nationalités diverses. Mais quand il est question de la substantifique moelle de mes récits, de ma vision du monde, de ma conception du cinéma, force est de reconnaitre que je suis britannique, et de plus en plus.

httpvh://youtu.be/_u6pg8fuSB4

Andrea Arnold donc. Depuis Fish Tank, son cinéma me porte. Je suis raide amoureuse de son écriture subtile mais frontale, de ses personnages terriblement humains, avec tout ce que ça comporte d’ambivalent, de pathétique et de cruel. Malgré des thématiques et décors souvent glauques, l’oeuvre de cette cinéaste est un hymne à la vie et à l’amour, dans ce qu’ils ont de plus viscéral. J’ai tellement hâte de découvrir American Honey!

httpvh://youtu.be/Zvy9-bwF9zc

Je ne prétends pas avoir son talent, mais le gros chantier qui m’anime actuellement, c’est à dire mon premier long-métrage en tant que scénariste et réalisatrice, Quelqu’un qui m’aimera toujours, a une forte parenté avec ses films, même si l’histoire et le contexte n’ont rien à voir. Il est aussi nourri des films de Ken Loach, dont le I, Daniel Blake m’a une fois de plus prise aux tripes, à tous les sens du terme, de ceux de Charles Chaplin, de Stephen Frears, Steve McQueen…

Parce que, voyez-vous, ça me rend profondément heureuse que de tels films existent encore, dans cette ère d’hégémonie des comédies creuses, insipides, qui ne disent rien de l’humain, de notre époque, de notre société. Chaque année, à Cannes, la crème de la profession récompense des films sociaux (Ken Loach et Andrea Arnold pas plus tard qu’en mai dernier), des films qu’elle emploie toute son énergie, le reste de l’année, à nous empêcher de faire…

Et n’allez pas croire que je boude la comédie par principe, mais celles que j’aime sont anglo-saxonnes, parce que grasses ou subtiles, elles ont du fond, de l’âme, et de vrais personnages dans lesquels se projeter. Elles assument de mêler le rire aux larmes, de raconter des choses plus larges que les péripéties de leurs personnages.

Mon dernier coup de foudre en date, la magique Sing Street de John Carney, un bijou de sensibilité et d’intelligence, dont on ressort le coeur en fête, même si l’oeil est un peu humide.

httpvh://youtu.be/CoWit3QnPqU

Le problème en France, c’est qu’on ne nous laisse plus le droit, ou presque, de mettre du fond dans nos histoires, sous prétexte que le public a besoin de se distraire, d’oublier ses problèmes, qu’il ne va surtout pas au cinéma pour « se prendre la tête ». Le problème, en France, c’est qu’on félicite un(e) cinéaste qui a une écriture subtile, un véritable univers, tant visuel que narratif, qui a des choses à dire, à défendre. Oh ça oui, on le/la félicite pour lui proposer aussitôt d’oublier ses projets trop subtils justement pour le public français, que nos décideurs aiment décidément prendre pour des idiots. On nous félicite, on chante nos louanges, pour nous demander d’écrire dare-dare une bonne grosse comédie « qui tâche ».

Ces films anglais, ils font pourtant des entrées sur notre sol, les critiques louent leurs cinéastes, déplorant « qu’on n’en ait pas des comme ça en France ». Vous suivez le raisonnement? 😉

C’est vrai qu’en tant que scénariste j’écris une comédie à l’heure actuelle (au budget sept à huit fois supérieur à celui de « mon » film, rapport au casting), mais une comédie à l’anglo-saxonne, parce qu’il existe encore sur notre sol des producteurs qui ont de l’audace. Et en tant que cinéaste, je n’entends pas changer de démarche. Je continue à défendre bec et ongles mon film « au sujet qui dérange », mon film de femme (risque financier supplémentaire, comme on ne manque pas de me le rappeler), mon film qui parle d’un phénomène de société. Et tandis que je rame quelque peu dans mes démarches, et que tout le monde loue les qualités de mon écriture, mon univers et mon ambition, on me demande pourquoi une fille comme moi, « pourtant si marrante », s’emmerde à écrire sur un sujet pareil!

Quand je serai grande, je ferai cinéaste anglaise, qu’on se le dise. Mais en attendant je continuerai à me battre sur notre sol… 🙂

Copyright©Nathalie Lenoir 2016