24 heures dans la vie d’une scénariste en vacances 1/2

En avril dernier, les lecteurs de cette chronique faisaient connaissance avec Madame X, scénariste de son état, et se délectaient semble t-il (c’est pas moi qui le dis c’est Google Analytics) de ses mésaventures existentiallo-scénaristiques. Dans un souci d’exactitude documentaire, nous l’avions observée tout au long d’une de ses (longues) journées de travail à domicile afin de voir si les belles-mères, voisins, banquiers, boulangères, pharmaciennes et poissons rouges ont raison de clamer haut et fort que les scénaristes sont des bons à rien qui passent leurs journées à se tourner les pouces.

Second reportage de la série « 24 heures dans la vie », voyons comment se déroule la journée d’une scénariste lorsqu’elle part en vacances avec sa petite famille…

Présentation du sujet d’étude: Madame X, scénariste (avec une profession pareille, on comprend qu’elle préfère rester anonyme!), la trentaine, un mari, une ado, quatre chats (sic!) et un assistant à grandes oreilles. Vaste programme!

Résumé du précédent reportage: Au cours de vingt-quatre heures pour le moins animées, notre valeureuse scénariste avait guerroyé contre un réalisateur quelque peu indécis, une armée de co-scénaristes félins très dissipés, un assistant qui n’en fait qu’à sa tête, une copine atteinte de téléphonite aiguë, une poignée de démarcheurs vicieux, un producteur sous caféine, un agent enthousiaste et une ado. Pour couronner le tout, son conjoint lui avait sournoisement imposé de prendre une semaine de vacances en Bretagne, c’est d’ailleurs là que nous la retrouvons aujourd’hui. Arrivée depuis deux jours avec famille et bagages dans un appartement de location, madame X dort à poings fermés. Enfin, c’est ce qu’elle voudrait nous faire croire…

05: 17 Tandis que les chats ronflent sur ses jambes et que son conjoint savoure, semble t-il, les joies d’un sommeil réparateur, Madame X ouvre un œil inquiet. Si l’on considère qu’elle travaille dix heures par jour (à la louche), cinq jours par semaine (officiellement), ce guet-apens conjugal va donc lui faire perdre… Oh my god!

05: 19 Madame X dégage péniblement ses jambes de leur encombrement félin et se lève délicatement, prenant garde de ne pas faire grincer le sommier fatigué. Elle se glisse en douce hors de la chambre.

05: 20 Dans le living-room, notre scénariste sort son cher ordinateur portable, qu’elle avait planqué la veille au soir derrière le canapé (au cas où), et s’apprête à l’allumer, les doigts vibrants d’excitation. Manque de bol, les quatre chats l’ont suivie, l’estomac dans les talons, et commencent à manifester bruyamment leur impatience.

05: 21 Madame X nourrit copieusement ses fauves, priant le dieu de l’écriture pour qu’ils n’aient pas réveillé le reste des troupes.

05: 27 Une tasse de thé fumante devant elle, l’ordinateur sur les genoux, deux chats sur les pieds, les deux autres l’encadrant sur le canapé, Madame X checke ses mails (72, petite fournée), son profil Facebook, son compte Twitter, tout en baillant toutes les vingt secondes. Elle songe, nostalgique, à son cher assistant, resté à la maison.

05: 30 Dans sa chambre, au fond du couloir, l’ado râle dans son sommeil. Madame X sursaute, se renversant du thé sur la main, et prie le dieu de l’écriture pour que ce ne soit qu’une fausse alerte. Dix secondes plus tard, elle se replonge, moyennement rassurée, dans la lecture de ses mails.

05: 32 Le réalisateur avec lequel Madame X est un train d’écrire un long-métrage lui a envoyé une nouvelle version du traitement à corriger. C’est bien normal, la scénariste n’a averti AUCUN de ses collaborateurs qu’elle partait en vacances (trop la honte). Le problème, c’est qu’elle n’a pas non plus jugé utile d’avertir son conjoint qu’elle n’avait pas averti ses collaborateurs qu’elle partait en vacances! Comment ça vous n’arrivez pas à suivre? C’est pourtant simple. Madame X est un agent double, elle fait juste SEMBLANT d’être en vacances pour faire plaisir à sa famille!

07: 17 Madame X a épluché tous ses mails, terminé et envoyé une nouvelle version du traitement, bu un litre de thé et envoyé cent quarante cinq baballes aux chats, décidément très en forme ce matin. Et tout ça, sans réveiller conjoint, ni ado, trop forte! Ils devraient encore dormir deux bonnes heures, pourquoi ne pas en profiter pour la faire avancer, cette bible de série à rendre à la fin du mois?

07: 22 Madame X est en plein élan créatif depuis deux bonnes minutes lorsque sa fille débarque dans la pièce en bougonnant. Son matelas il est trop pourri que même qu’elle a grave pas fermé l’œil de la nuit. Puis, elle assène à sa mère le coup de grâce. Qu’est-ce qu’il y a pour le petit déj?

07: 25 Madame X, cette mère indigne, a envoyé, après force négociations houleuses, son ado de fille se préparer son petit déjeuner toute seule comme une grande, na! Elle rouvre son document, pas peu fière.

07: 28 L’ado s’est effectivement préparé son bol de céréales toute seule comme une grande, elle vient d’ailleurs le déguster bruyamment sur le canapé, juste à côté de sa mère, tout en lorgnant par dessus son épaule. Tu fais quoi?

07:29 Constatant que sa mère indigne était en train de bosser en douce, l’ado lui fait remarquer, sadique, que leur mari et père ne va pas du tout apprécier la blague.

07:34 Madame X est délestée de vingt euros, et quand on sait ce que gagne un scénariste, je vous prie de croire que ça fait mal, mais au moins, l’ado est repartie bouquiner dans sa chambre, en promettant de tenir sa langue.

07: 44 Maintenant qu’elle a la paix, Madame X n’arrive pas à l’écrire, sa putain de bible, c’est malin!

08: 16 Madame X a eu beau invoquer le dieu de l’écriture (qu’elle sollicite beaucoup, vous ne trouvez pas?), elle n’a toujours pas produit trois lignes, oulà, ça frise la crise de procrastination c’te histoire…

08: 17 Madame X fixe son écran d’un oeil vitreux.

09: 23 Monsieur X entre dans la pièce, les yeux pleins de sommeil, et trouve sa femme endormie sur le canapé, l’ordinateur sur les genoux. Il réveille la pécheresse, qui lui assure qu’elle n’était levée que depuis une petite demi-heure. Magnanime, son époux lui accorde le bénéfice du doute et lui demande ce qu’il y a pour le petit déj.

09: 30 Madame X saute sous la douche, histoire de se bien se réveiller.

09: 33 Madame X s’est endormie sous la douche…

10: 00 La famille X au grand complet (enfin pas le chats hein) roule vers l’excursion du jour: le Mont St Michel. Ils ont de la chance, le temps est superbe. Madame X acquiesce, regardant défiler le paysage d’un œil morne.

10: 30 Les X laissent leur véhicule sur le parking. Le Blackberry de Madame X se met à chanter: c’est le producteur à qui elle doit rendre la fameuse bible. La scénariste affronte le regard courroucé de son époux, puis décide de laisser sonner.

10: 39 Punaise, c’est vachement beau, le Mont Saint Michel, mais qu’est-ce que ça grimpe! Constatant la fatigue de sa femme, Monsieur X lui affirme, tout sourire, qu’il a vraiment bien fait de lui forcer la main pour prendre des vacances.

10:42 Madame X poursuit la grimpette en bougonnant.

11: 18 Tandis que son époux mitraille les veilles pierres, Madame X se cache dans un coin pour écouter le message laissé par la producteur. Ouille! Il voudrait connaitre l’état d’avancement de la bible parce que finalement, il y a possibilité d’avancer le rendez-vous avec le diffuseur. Le deadline est donc avancé d’une semaine, ça ne dérange pas Madame X, hein?

11: 23 Toute la famille X pose pour des clichés souvenir, attendant que le retardateur de l’appareil ait terminé son décompte. Madame X sourit de toutes ses dents, stoïque, tandis qu’une vague de stress lui agite les neurones.

11: 35 Monsieur X et sa fille choisissent des cartes postales. Madame X tweete pour se venger se détendre.

11: 38 Puisqu’elle a son téléphone en main, Madame X en profite pour checker ses mails (17, dont celui d’un apprenti scénariste qui lui demande de lire son script, sous prétexte qu’il est justement abonné à ses tweets). Elle écrase une larme de fatigue nerveuse. Putain, dire qu’il est même pas midi!

NB: ce texte est une pure œuvre de FICTION, ni voyez aucune confession exhibitionniste de l’auteur mais bon, si certains évènements évoquent de douloureux souvenirs à certains d’entre vous c’est tout à fait normal puisque je me suis longtemps documentée sur la question!

Copyright©Nathalie Lenoir 2010

Cet article a été publié en juillet 2010 dans le cadre de la chronique « Bigger than fiction » du blog Scénario-Buzz.com.