La relation scénariste/réalisateur: mariage ou union libre?

Si en télévision, le scénariste croise rarement celui ou celle qui mettra son texte en images, leur rencontre est au cœur même de la création cinématographique. De l’alchimie plus ou moins forte de leur association dépend la qualité de narration d’un futur film.

Mais en amour comme au cinéma, les relations sont à géométrie variable et toutes les combinaisons sont possibles, même les plus croustillantes…

Ce qu’il y a de vraiment magnifique dans une carrière de scénariste de cinéma, c’est l’opportunité de travailler avec un grand nombre de cinéastes, de se mettre au service de leurs univers hétéroclites, d’assimiler leurs sources d’inspiration, de naviguer entre divers tons et genres. Avouez, chers membres de la caste des « vrais travailleurs » (nomenclature très officiellement dressée par les belles-mères, banquiers, pharmaciennes et poissons rouges), que ça vous fait rêver, non?

Le/la scénariste change de boss à chaque mission, c’est pas la classe ça? Bon d’accord, les intérimaires aussi mais c’est un tout autre débat, ça n’a même rien à voir puisque collaborer avec un cinéaste est une véritable aventure humaine, voire conjugale métaphoriquement parlant (attention, hein, je ne suis pas en train de dire qu’il faut coucher pour réussir!). Oui chers lecteurs, la relation scénariste/réalisateur s’apparente au mariage. Et devinez qui « fait la femme »?

J’en entends ricaner dans la salle, vous n’êtes pas convaincus? Les similitudes sont pourtant troublantes…

Le mariage de raison

Passons vite sur cette union bassement mercantile qui peut naitre de plusieurs cas de figure:

  • La rencontre se fait à la va vite dans le bureau d’un producteur qui vient d’avoir l’idée du siècle (un thriller mystico-sportif qui a pour toile de fond la finale de Roland-Garros en 2026). Verdict: union qui n’a pour finalité, de part comme d’autre, que de payer les factures. Pronostic du couple: 3 à 6 mois, le temps d’une V1 qui se fera rejeter à l’avance sur recettes du CNC.

  • Le réalisateur, auréolé de deux longs-métrages rentabilisés avant les ventes DVD ET qui vient faire la promo du dernier à NPA durant le festival de Cannes a « dragué » le scénariste au bar du VIP Room. Il signe des films d’action sévèrement burnés « à la Besson », le scénariste ne prise que les comédies intellectualo-romantiques « à la Woody Allen » mais ça tombe bien, le cinéaste souhaite justement insuffler une touche d’humour et de romantisme dans son prochain opus. Verdict: le scénariste a cruellement besoin de payer ses factures ET de pouvoir justifier d’au moins un film rentabilisé avant les ventes DVD. Pronostic du couple: 18 à 24 mois, le temps que le film se fasse massacrer en salles, coulant deux carrières…

  • Le scénariste a été appelé en urgence, via une connaissance commune, pour remplacer l’auteur initialement engagé sur le projet qui s’est fait virer comme un malpropre qui a du y renoncer pour des raisons personnelles. Verdict: le scénariste a cruellement besoin de payer ses factures ET se met la déontologie derrière l’oreille pour la fumer plus tard. Pronostic du couple: 3 à 6 mois, le temps que le scénariste se fasse virer à son tour…

  • Les amants maudits

    Certains couples scénariste/cinéaste se tournent autour pendant des années, chacun louant à qui veut l’entendre le talent de l’autre, échangeant des mails passionnés, se faisant lire mutuellement divers projets sur le feu, crevant d’envie de collaborer mais sans trouver le bon sujet, voir le bon créneau. Ils sont obligés de s’aimer à distance et cette relation platonique restera l’un des gros regrets de leurs carrières respectives… Plus poignant encore que The Bridges of Madison County (Sur la route de Madison en VF), to-ta-le-ment culte!

    Le one night stand

    Une collaboration peut s’avérer riche et intense sans pour autant que les partenaires souhaitent y donner suite, soit parce que le cinéaste (ou, plus rarement l’auteur, vous en connaissez beaucoup des scénaristes qui disent non à un projet, vous?) préfère changer de scénariste à chaque projet, ou parce que « son » scénariste attitré est monopolisé par un autre projet.

    Le mariage heureux

    Quoi de plus beau, de plus épanouissant, qu’une belle collaboration durable? Lorsqu’un tandem réalisateur/scénariste se découvre des affinités créatives, mais aussi humaines, pourquoi iraient-ils vérifier si l’herbe est plus verte chez le voisin, hein, je vous le demande?! Il faut dire qu’écrire un film, puis essayer de le faire financer, ça créé des liens. Comme c’est le cas en amour, les obstacles du quotidien peuvent au choix dissoudre le couple ou le rendre quasi indestructible.

    Qu’elles démarrent sur un coup de foudre artistique réciproque ou se construisent plus lentement, les relations qui reposent sur de véritables affinités sont un véritable état de grâce pour le scénariste. Rien n’est plus gratifiant que d’écrire pour quelqu’un qu’on admire et de sentir en retour qu’on arrive à combler ses attentes créatives?

    A force de galérer travailler ensemble, de réécrire une, puis deux, puis vingt fois un scénario, de subir les désidératas contradictoires de certains producteurs, de changer de producteur en cours de route, tiens, justement, de se faire jeter successivement par tous les organismes d’aide à l’écriture, de passer des heures à échanger mails ou coups de fils entre deux prises, ou deux rushes, lorsque le film voit enfin le jour on a vraiment l’impression d’avoir mis au monde un enfant (parfois légèrement handicapé mais hmm, on ne l’en aime que plus), si bien qu’on est très pressé d’engendrer le suivant. Et comme dans maints mariages, c’est là que les choses peuvent éventuellement se gâter. Pourquoi? A cause du fric pardi!

    Est-il utile de le répéter? Contrairement au cinéaste, le scénariste n’est pas intermittent du spectacle. Contrairement au cinéaste, avec lequel il partage les droits d’écriture, il ne sera pas, et c’est bien normal, rémunéré pour le tournage du film. Si l’on résume, non seulement le scénariste gagne beaucoup moins d’argent que le réalisateur, mais il n’est pas rémunéré entre deux projets. Autant dire que même quand le couple marche, sa situation professionnelle l’oblige à une infidélité chronique.

    Je t’aime moi non plus

    Si certains cinéastes tolèrent parfaitement les liaisons passagères précédemment citées, un petit nombre d’entre eux condamnent vertement l’union libre. Ils alternent flatteries (il n’ont jamais rencontré un auteur aussi génial, talentueux, audacieux, innovant, drôle… rayer la mention inutile) et crises de jalousie (comment cette enflure de scénariste peut-il trahir une collaboration quasi mystique pour aller bosser avec ce gros connard de G… qui ne pond que des merdes commerciale, c’est quasi de la prostitution à ce stade?!) à un rythme endiablé, cherchant par tous les moyens à donner mauvaise conscience au pauvre scénariste.

    Cris, larmes, insultes, coups (non là je déconne) sont échangés, les deux protagonistes jurent haut et fort qu’on ne les y prendra plus, que JAMAIS PLUS JAMAIS ils ne retravailleront avec cet(te) abruti(e) égocentrique. Mais bien entendu dès que l’un suggère un projet, quelques mois plus tard, l’autre dit banco…

    Ménage à trois

    Mœurs coquines ou désir de vengeance, il arrive qu’un cinéaste s’entoure de deux scénaristes, ou qu’il débute l’écriture du film avec un seul auteur, pour en appeler un second en renfort en cours de route. Il se peut aussi que la production engage un script-doctor, voire un consultant si l’intrigue se déroule dans un univers très spécifique. Quelle que soit la configuration de base, ce triolisme souvent un poil forcé demande une grande souplesse d’esprit et de sacrés talents de diplomates!

    Il peut cependant s’avérer plus que profitable aux divers partenaires mais il faut bien reconnaitre que les scénaristes les redoutent de prime abord car l’expérience peut aussi virer au cauchemar.

    Les réalisateurs viennent de Mars, les scénaristes de Vénus

    Quel que soit le type d’union qui lie les deux partenaires, il va leur falloir apprendre à communiquer ensemble, et ce n’est pas une mince affaire!

    Quand le cinéaste (fortement inspiré par le producteur) ne pense qu’en terme de casting, le scénariste, lui, parle caractérisation et personnage tri-dimensionnel.

    Quand le réalisateur veut introduire un nouveau personnage secondaire dans l’intrigue, le scénariste lui parle aussitôt de la « biographie détaillée » de cette nouvelle figure et lui demande de remplir un long questionnaire sur son enfance difficile ou ses habitudes alimentaires.

    Quand le scénariste raisonne en terme de structure en trois actes ou vingt-deux points-clés, le cinéaste a déjà un pied dans ses repérages.

    Si certains cinéastes mettent franchement les mains dans le cambouis, d’autres ne participent que de très loin à l’écriture du scénario. Dans cette conjecture, il faut bien avouer que leurs retours sur les diverses versions du texte sont parfois très difficiles à traduire pour le pauvre auteur, qui se voit sommé de réécrire « un peu plus sombre, tu vois, mais avec des pointes de lumière hyper humanistes, sans pour autant s’interdire un vrai cynisme de fond »…, puis, quelques jours plus tard, de greffer « de purs moments de comédie régressive parce que vraiment là, c’est trop cynique ». Oh Punaise!

    Quelle que soit la façon dont le tandem s’organise, et le temps que durera cette collaboration, le scénariste évoquera « le cinéaste avec lequel il travaille » quand le réalisateur parlera de « SON scénariste ».

    Les auteurs de cinéma ont-ils des mœurs légères?

    Je sais bien ce que certains lecteurs vont penser au vu de cet article: « le scénariste de cinéma est une catin de la pire espèce, passant de cinéaste en cinéaste à un rythme effréné sans en éprouver la plus légère honte ».

    Je leur répondrai, moi, que les scénaristes de télévision ne sont pas en reste: tandem d’auteurs, ateliers d’écriture, relations avec divers producteurs, échanges avec un large pannel de conseillers des programmes, leur vie est un véritable gang bang! 😉

    Qu’il/elle travaille pour le petit ou pour le grand écran, la carrière d’un(e) scénariste est une grande saga sentimentale, tour à tour joyeuse ou mélodramatique, spirituelle ou polissonne, obsessionnelle ou mystique. Ce qui est certain en tout cas c’est qu’il n’y a pas la plus petite place pour la routine et l’ennui!

    Copyright©Nathalie Lenoir 2011

    Cet article a été publié en avril 2011 dans le cadre de la chronique « Bigger than fiction » du blog Scénario-Buzz.com.