Petit guide de survie en milieu hostile: le tournage
En règle générale, les réalisateurs détestent que LEUR scénariste assiste au tournage du film qu’il a couché sur papier. Mais vous avez rencontré la perle rare: un cinéaste qui conçoit votre collaboration comme un véritable partenariat et il ne saurait se passer de vous sur le tournage.
Une magnifique chance? Certes, mais avez-vous bien mesuré les effroyables danger qui vous guettent?
Comme nous l’avons vu maintes fois dans divers articles, le travail de scénariste implique solitude, rigueur et humilité. Mais en chaque auteur sommeille un petit monstre sournois, plus communément appelé ego. Malmené la majeure partie du temps, il a une fâcheuse tendance à gonfler comme un ballon à la moindre marque de respect de (rayer la mention inutile) a. un producteur, b. un réalisateur, c. le conjoint, d. la belle-famille (non, là c’est carrément de la science-fiction), aussi pousse t-il parfois les jeunes scénaristes à commettre toutes sortes de folies, comme par exemple assister au tournage du film qu’il viennent de signer.
Soyons honnêtes, si avec un peu de préparation, l’expérience sera, comme l’aurait dit Marguerite Duras, « forcement sublime », pour un novice, elle peut rapidement tourner au cauchemar.
En tant que chanceuse multi survivante à ce périlleux exercice, j’ai décidé dans un grand élan de générosité de partager avec vous quelques règles de survie en milieu hostile.
1. Le casting
Rien de trop périlleux à ce stade, d’autant qu’on ne vous attribuera qu’un rôle purement consultatif. Ayant créé sur papier une histoire, des personnages, vous saurez aiguiller avec pertinence le choix des acteurs qui les incarneront à l’écran.
Attention toutefois de ne pas vous montrer trop catégorique, dans un sens comme dans l’autre car:
a. Vous n’intervenez justement qu’à titre consultatif, vous n’êtes pas réalisateur, producteur, directeur de casting, (votre avis est peut-être requis par politesse plutôt que nécessité)
b. Cette actrice que vous dénigrez avec hargne est peut-être la fille, la belle-sœur, voire la maîtresse du réalisateur, producteur ou directeur de casting, méditez bien là dessus!
c. Cette actrice que vous avez dénigrée et qui, bien entendu a été engagée quand même, aura vent de votre hostilité et ne manquera pas de vous faire vivre un enfer…
A moins d’être vraiment très ami(e) avec le réalisateur, le producteur et le directeur de casting, contentez-vous de les féliciter pour la pertinence de leur choix.
2. Les lectures de scénario
A moins d’être très cordialement invité par le réalisateur, ou un brin masochiste, évitez à tout prix d’y assister! Pourquoi? Parce que, dès que les acteurs principaux vous auront serré la main et félicité pour votre écriture, ils vous présenteront derechef leur cahier de doléances!
Par exemple: J’adoore votre histoire mais le titre par contre, ça ne va PAS DU TOUT! On ne comprend pas du tout la prépondérance de mon personnage. Moi, j’avais plutôt pensé à…
Ou bien: Sinon, au sujet de la scène dans le jacuzzi, j’avoue que je n’ai pas bien saisi les motivations de MON personnage…
Mais encore: Non, vraiment, cette histoire est géniale mais ce serait mille fois mieux si elle se déroulait à une autre époque, si mon personnage n’était pas caissière mais artiste lyrique et puis surtout, si elle ne mourait pas à la fin.
Et dans tout les cas de figure, viendra le coup de grâce, et ce, avant même le début de la lecture: Bon, je compte sur vous pour en parler avec la réalisateur, hein?
Et ceci, chers lecteurs, n’est qu’un avant goût! Vous pensiez être venu ouïr avec délectation des acteurs lire, que dis-je, donner vie à votre prose? Que nenni, invitation aux lectures signifie grosses réécritures en perspective!
3. Le tournage
Autant être clair tout de suite, c’est là que les choses risquent de se gâter car votre ego sera soumis à rude épreuve.
Sâchez tout d’abord qu’un tas de gens vont se demander, et fatalement VOUS demander, ce que vous fichez là. Certains (producteur exécutif, régisseur, techniciens…) se contenteront de se montrer (rayer le mention inutile) indifférents, méprisants, railleurs, voire carrément hostiles. D’autres, l’actrice principale par exemple, dans un grand élan de mansuétude, pourrait bien vous attribuer une fonction stratégique, exemples et solutions:
- Aller lui chercher un sandwiche, un paquet de cigarettes, un truc dans sa loge. Conseil: faire la sourde oreille (si vous cédez une seule fois, vous êtes foutus) mais sans blesser l’ego de la diva (l’envoyer se faire… est fortement déconseillé)
- Réécrire ses dialogues, tout en se chargeant de faire passer la pilule auprès du réalisateur. Conseil: respecter l’équilibre cosmique d’un tournage. L’actrice ira faire du charme au réalisateur qui viendra vous demander de réécrire les dialogues en question.
- La rassurer sur ses talents d’interprète. Conseil: la féliciter chaudement.
- Lui prodiguer des conseils pour améliorer son jeu, c’est à dire se substituer au réalisateur. Conseil: fuyez malheureux!
En résumé, conduisez-vous en enfant sage: mettez vous dans un coin, soyez discret et souriant. N’oubliez pas que le réalisateur a fait preuve d’une généreuse confiance en vous conviant sur le tournage. Ne donnez votre opinion que s’il vous la demande et, si vous avez vraiment une réserve à émettre, faites-le exclusivement entre quatre yeux!
Trousse de survie
- un anti-acide car un stress intense peut provoquer des ulcères
- un anti-migraine au cas où
- un solide calmant (à prendre au début de chaque journée de tournage)
- un anti-dépresseur (à prendre à la fin de chaque journée de tournage)
- un exemplaire du scénario pour se cacher derrière dès qu’un acteur vient se plaindre
- des boules Quies pour la même raison, remède beaucoup moins diplomatique
- un cahier et un stylo (ou un ordinateur portable, plus classe) pour se donner une légitimité sur ce tournage, tout en sachant qu’une dizaine de personnes vous demanderons quotidiennement « ce que vous foutez là? »
- un téléphone de type Iphone afin de pouvoir crâner sur Twitter en racontant VOTRE tournage heure par heure
- une photo de votre conjoint, de vos enfants, de votre chien, de votre maison de vacances…, ou n’importe quel objet qui vous rappelle que vous avez une vraie vie dans laquelle des gens vous apprécient
- votre plus beau sourire, et ce en toutes circonstances (un solide entrainement peut s’avérer nécessaire)
4. Le montage
C’est une étape passionnante, au cours de laquelle la présence du scénariste est souvent requise, puisqu’il s’agit souvent d’une réelle réécriture du film. Quelques écueils vous y guettent cependant:
- Le réalisateur, maître d’orchestre génial mais petit être sensible, va vous livrer son travail, et les angoisses métaphysiques qui en découlent, à l’état brut. En bref, il va se mettre à poil devant vous, donc ménagez en toutes circonstances sa susceptibilité! Bannissez les expressions du type: « ça ne va pas du tout! », « c’est carrément à chier! », « tu l’as filmée à la truelle cette scène? », ou encore « bof », « chais pas », évitez à tout prix grimaces et bâillements.
- Montrez-vous aimable avec le monteur, le réalisateur se charge déjà amplement de lui mener la vie dure.
- Ne vous interposez JAMAIS dans un conflit entre réalisateur et monteur. D’accord vous cotisez aux Agessa, mais tout de même!
Epilogue: promotion
Quand viendra le temps des premières projections, des festivals, des conférences de presse et autres interviews télévisées, si par miracle, vous êtes conviés par la production, et si vous avez suivis les judicieux conseils divulgués dans cette chronique, vous serez parés. Si vous avez survécu au tournage, vous ne serez pas dépaysés.
Une promotion diffère finalement peu d’un tournage: vous y rencontrerez, amis scénaristes, tout un tas de gens qui se demandent, et VOUS demandent… ce que vous fichez là!
Toute ressemblance avec des faits réels et des personnes existantes serait bien entendu fortuite et involontaire.
Copyright©Nathalie Lenoir 2009
Cet article a été publié en janvier 2010 dans le cadre de la chronique « Bigger than fiction » du blog Scénario-Buzz.com.