Le métier d’agent de scénariste vu par Marie-Servane Bargy, volume 3
Suite et fin de l’entretien avec mon agent, Marie-Servane Bargy. C’est quoi, un agent de scénariste? Que cherche t-il chez un auteur qu’il représente? Comment agent et scénariste collaborent-ils? Comment bien choisir son agent? Voici de précieuses infos pour les wannabe scénaristes, mais aussi un pertinent éclairage qui, je l’espère, suscitera le débat entre pros…
Après avoir abordé les spécificités de la représentation d’auteurs, puis les forces et failles de la relation de travail agent/scénariste, mon formidable agent, Marie-Servane Bargy, nous livre quelques pistes de réflexion sur les métiers de scénariste et d’agent, notamment leurs rémunérations respectives…
Penses-tu qu’en France, l’écriture est assez valorisée au cinéma ? Et en télévision ?
Je pense comme tout le monde, qu’il y a un problème de financement du développement. Mais je n’ai pas la solution magique et je ne suis pas celles qui pensent qu’un producteur doit être capable d’hypothéquer sa maison pour boucler son budget de film. Si le scénario est la base de tout mais qu’il a tant de mal à suffire pour convaincre les financiers, c’est que nous avons un problème, en effet.
Comme il y a peu d’argent sur la phase de développement, je constate que c’est le plus souvent à l’auteur de faire l’effort de travailler pour très peu d’argent, d’investir. Et admettons, pourquoi pas s’il est d’accord. Ce qui me dérange bien plus, c’est que même si l’auteur joue fair play, il n’est quasiment jamais récompensé de cet effort initial, on peine véritablement à instaurer un gagnant-gagnant avec le producteur. Pourtant, le premier qui a investi, c’est bien l’auteur, il a fait un apport en industrie qui devrait être valorisé. Il y a certainement des systèmes de rémunérations plus équilibrés à trouver, des accords qui n’augmentent pas le risque du producteur mais récompensent à leurs justes valeurs les investissements de chacun.
Nous avons du mal à parler d’argent avec transparence. Je crois, naïvement peut être, que les choses pourraient être bien moins compliquées et plus saines, à l’aide de grilles tarifaires. Lorsque je l’avais évoqué aux instances il y a quelques années, on m’a simplement rétorqué que ce serait tirer la rémunération des auteurs vers le bas, mais je ne suis pas d’accord. J’ai vu l’instauration de ce système dans un autre milieu artistique, cela n’empêche pas absolument pas les négociations (ni les dérives d’ailleurs, mais cela limite fortement les abus) et au moins, la base de discussion est commune pour tout le monde.
Il s’agirait par exemple de déterminer un prix moyen de scénario valable pour tout le monde (je ne vois pas pourquoi un bon scénario écrit par un débutant vaudrait moins cher que le même scénario écrit par un confirmé !) et un pourcentage plancher du budget du film attribué au scénario en phase d’écriture. C’est ce pourcentage que le scénariste confirmé pourrait alors négocier, grâce à lui qu’il pourrait faire valoir sa notoriété, son savoir faire, son expérience rassurante. Car travailler avec un scénariste confirmé apporte a priori plus de garanties de faisabilité. Outre sa compétence scénaristique pure, il apporte une « marque », une caution au film. Son expérience et sa notoriété doivent être rétribuées également.
Entre le prix moyen d’un scénario et le pourcentage par rapport au budget du film qui aurait été négocié, on obtiendrait un M.G. à partir duquel donc pourrions discuter avec les producteurs. Soit le producteur verse l’intégralité de ce MG en phase de développement, soit le producteur ne verse qu’une partie de ce M.G pendant l’écriture et demande donc à l’auteur un effort financier. Cet effort financier devrait alors être considéré comme un apport de l’auteur au film et valorisé en tant que tel. Le solde du MG non versé serait majoré au titre de la prise de risque consentie et remboursable avant amortissement du coût du film, dès les premiers euros perçus.
Au delà de ces problématiques financières, on laisse à mon goût encore trop peu de place au scénariste dans le montage des projets. Une fois que le scénario est écrit, l’aventure continue trop souvent sans lui hélas. Mais pourquoi ne pas lui donner l’opportunité de défendre sa propre histoire auprès des chaines ou des distributeurs? Pourquoi ne pas exploiter ses compétences sur les plateaux ? Il ne s’agit pas de devenir calife à la place du calife, mais bien d’associer jusqu’au bout le créateur de l’histoire et des personnages à la réalisation du film. Le scénariste est un précieux partenaire pour la vente, la direction d’acteur, le montage. Combien de scènes clés ont été coupées au montage dénaturant complètement le scénario ? Combien de scénarios ont ils été appauvris par des réécritures de dernière minute par on ne sait qui ? Quel dommage.
Le scénariste n’est pas un simple fournisseur de matière, il installe un univers, une cohérence, il en est le garant. Se passer de son expertise, c’est se priver d’un atout majeur. J’ai l’impression que les choses évoluent dans le bon sens et qu’on sort un peu du « dieu réalisateur » hérité de la Nouvelle Vague. Mais il a encore du chemin à parcourir pour sortir de cette sorte de défiance vis à vis du scénariste.
Pourquoi selon toi les conditions de travail des scénaristes se dégradent-elles ?
N’étant pas Arlette, je n’ai pas suffisamment de recul pour te proposer un avant/après ! Mais, de ce que je peux percevoir du petit bout de ma lorgnette, les conditions de travail de tout le monde sont en pleine mutation. Et on a tendance à vouloir évoluer mais sans trop changer quand même parce qu’on a toujours fait comme ça avant… bon.
Je vais de te dire des banalités mais il y a de plus en plus de prétendants scénaristes comme de prétendants producteurs, peu de cases de fiction, la crise qui n’a pas aidé, bla, bla, bla. Et comme c’est difficile, certains proposent ou acceptent n’importe quoi, se tirent des balles dans le pied comme on dit ! Bref, on est sur un marché très concurrentiel.
Il me semble que, malgré tout, il y a eu de belles avancées concernant les conditions de travail des scénaristes : des accords passés avec les producteurs et avec les chaînes, un accès à la formation, des formations qui se professionnalisent, le droit à la retraite etc… Tout n’est pas encore parfait, mais je ne crois pas au « c’était mieux avant ». C’est différent maintenant ! Et il y a tout de même des syndicats, des associations et sociétés qui se bougent au quotidien pour améliorer les conditions de travail des scénaristes. Au passage, les scénaristes qui se plaignent le plus ne sont pas nécessairement ceux qui se montrent les plus solidaires ou corporatistes pour que les choses s’améliorent. Enfin, le droit d’auteur français est tout de même très favorable aux auteurs (quand il est respecté me souligneras-tu…)
Je vais probablement faire hurler, mais je me demande si ce ne sont pas les conditions de travail des producteurs qui se sont le plus durcies ces dernières années. Je ne te parle pas des très grands groupes mais à bien regarder les producteurs indépendants, je ne suis pas sûre que les conditions de travail soient toujours très enviables !
Le métier de scénariste manque encore de statut et de reconnaissance, ce qui entraine pas mal de dérives (contrats abusifs, travail gratuit…)
Oui il y a des dérives, des abus etc et il faut lutter contre. Par de la prévention, de la formation et un minium de déontologie de chacun. Mais dans un contexte tendu, l’intérêt individuel prend souvent le pas sur l’intérêt collectif. J’ai vu plusieurs scénaristes être scandalisés par tel ou telle proposition ou comportement, mais signer ou cautionner malgré tout, non pas de gaité de cœur, mais parce qu’ils avaient besoin de la rémunération à la clé ou une simple opportunité pour eux-mêmes. La théorie et la pratique ont parfois du mal à rester une fidèles l’une à l’autre.
Ce qui me chagrine, c’est qu’il y a des cadres juridiques, des accords, des conventions multiples qui permettent de constater les abus. Mais il y a en revanche peu de sanctions prévues et/ou applicables facilement. Un exemple concret : si tu constates qu’un producteur à envoyé un de tes projets à une chaine à ton insu, quels sont tes moyens d’actions concrets ? Pour avoir consulté un avocat à ce sujet, tu peux faire un procès pour « privation de chance ». Bien. Mais entre les frais d’avocat et ce que potentiellement tu récupéreras, tu restes financièrement perdante. Si on s’accorde sur le fait qu’un projet doit être optionné avant tout envoi à une chaine, mais que la chaine ne communique pas la liste des projets soumis, comment vérifier ? Certains producteurs sont si méfiants qu’ils me demandent de ne leur envoyer les projets que si je peux leur garantir que je ne les ai jamais proposé à d’autres producteurs. Et en effet, il m’est arrivé de « vendre » un projet à un producteur en toute bonne foi, le producteur a payé une option, mais en proposant le projet à une chaine il a découvert que le projet avait déjà été refusé. La encore, concrètement, comment répare-t-on les préjudices ? Qui est sanctionné ?
Les anecdotes d’arnaques circulent, plus ou moins valables d’ailleurs, mais je trouve qu’on manque de moyens concrets pour sanctionner les comportements nuisibles à l’ensemble de la profession et assurer une prévention objective et incontestable à l’encontre de certains.
L’idée serait peut être de prendre le contrepied : de valoriser et communiquer sur les producteurs qui sont respectueux du droit d’auteur et des auteurs en général, qui se battent pour les projets, qui sont de bons producteurs ! On ne parle toujours que du négatif, jamais du positif. Au lieu d’établir une liste noire, pourquoi de ne pas récompenser et reconnaître le mérite et le talent des bons producteurs ? Le prix du producteur le plus respectueux des scénaristes est remis cette année à….
Concernant le statut du scénariste, je ne maîtrise pas suffisamment les différents aspects des statuts possibles pour discerner exactement lequel serait le plus avantageux, le mieux adapté etc. Choisir c’est renoncer, il aurait certainement des avantages et des inconvénients pour chaque statut possible. Pourtant je pense qu’il serait bénéfique que ce statut soit clarifié pour qu’on puisse en maîtriser peu à peu les contraintes et avancer plus efficacement. Du point de vue de la relation scénariste / agent ou scénariste/producteur, j’ai tendance à penser qu’il serait plus sain et simple que le scénariste puisse être considéré comme un entrepreneur à part entière, (profession libérale, artisan, société unipersonnelle, je n’en sais rien), mais je crois que cela rééquilibrerait de fait les rapports de force, que la compréhension mutuelle serait optimisée et les rapports d’affaires rééquilibrés.
Quels sont les gros malentendus qui circulent au sujet des agents de scénaristes ?
Disons qu’il y a des idées reçues qui ont la peau dure et des anecdotes peu flatteuses. Mais comme pour tout, on parle plus facilement du négatif que du positif ! Et c’est surtout le cas avec les jeunes auteurs. Les auteurs expérimentés savent le plus souvent apprécier ce qui est fait pour eux ou dire ce qu’ils attendent précisément. Cela permet d’en discuter ouvertement et de lever les malentendus. Le problème se pose plus au moment où les auteurs cherchent un agent ou à changer. Comment savoir que quelqu’un est un bon agent de scénaristes ?
Le métier d’agent de scénariste est un métier relativement récent. Nous sommes d’ailleurs assez peu nombreux à être véritablement spécialisés.
« On les aide à trouver un rôle, on négocie leur contrat, on les accompagne dans leur carrière et en échange on prend 10% de leur rémunération »*. Remplace le mot « rôle » par « producteur intéressé par leurs projets ou leur écriture » et tu as à peu près la définition communément admise de ce qu’est un agent de scénaristes, c’est à dire une définition calquée sur le rôle de l’agent artistique.
Le métier d’agent artistique étant déjà peu défini, c’est encore plus flou pour les agents de scénaristes. Disons que l’usage fait loi. Mais l’usage de qui ? Selon quels critères ? Avec quelle référent ? C’est ce flou qui génère des malentendus. Les scénaristes ont peu de moyens à disposition pour évaluer les compétences réelles de leur agent ou de l’agent qu’il démarche. Le bouche à oreille ? Ok, mais objectivement ? Tous les agents se valent ils ? Ont ils tous les mêmes compétences ? Le même réseau ? Dans tous les domaines ? C’est le même « prix » partout, mais est ce que cela les vaut ?
Souvent, pour jauger un agent, on s’en remet à la liste des talents d’ores et déjà représentés. Cela dit effectivement qui l’agent représente (quand le site existe et qu’il est à jour), mais pas ce qu’il fait pour ses clients ni la manière dont il travaille. Comment savoir si l’agent saura répondre à ses attentes?
Si on reprend notre définition :
▪ L’agent aide à trouver un producteur pour les projets : Pour n’importe quel projet ? Sous n’importe quelle forme ? Cela suppose qu’il les ait lus d’abord, qu’il ait fait un retour ? Il se doit de trouver ça génial ou doit avoir un regard critique ? Il doit être script doctor ? A quel moment je peux estimer qu’il s’est vraiment donné les moyens de trouver un producteur ? Est ce qu’il doit pouvoir me garantir qu’il s’agit d’un bon producteur ? Quel réseau doit il avoir ?
▪ L’agent négocie les contrats : L’agent doit il être conseiller juridique ? A-t-il fait des études de droit ? Qui décide d’accepter ou non un contrat ? Qui fixe les limites ? Comment évaluer que la négociation a été menée au mieux ? Qui juge des améliorations apportées ou non ? Est ce que l’auteur compare la proposition initiale et le contrat final ? Et si le contrat n’est pas négociable ? L’agent peut il décider de ne pas s’occupe d’un contrat ?
▪ L’agent les accompagne dans leur carrière : c’est un conseiller ? Une maman ? un psy ? un ami? Quel est l’objectif ? Gagner le plus d’argent possible ? Vendre des projets personnels ? Concrètement, qu’est ce qu’il doit faire ? Jusqu’où doit il aller ?
▪ L’agent prend 10% de leur rémunération : qui paye l’agent ? 10% de toutes les rémunérations ? Même si c’est l’auteur qui a vendu son propre projet ? Obligatoirement 10% ?
Comme on ne sait pas exactement ce qu’un agent est censé faire ou non, quels moyens il est censé déployer pour atteindre un objectif qui est souvent flou lui aussi… forcément, il y a des incompréhensions. Le malentendu c’est que faute de définition ou critères précis, chaque agent fait un peu comme il l’entend et/ou croit être bien et que chaque auteur se base sur une satisfaction personnelle pour l’évaluer. On retombe alors sur des critères totalement subjectifs : la qualité de la relation humaine.
L’exemple de Cécile de France dans « Dix pour cent » est flagrant pour illustrer cela. Cécile de France quitte un agent pour un autre qui a atteint l’objectif qu’elle voulait, accepte dans un premier temps le compromis qui va avec, puis finit par refuser le rôle et retourner avec son agent initial parce qu’elle a avec lui une relation humaine très forte. C’est « son ange gardien ». L’agence a perdu un contrat de 2 millions, oui mais elle a gagné une grande actrice !
L’agent et l’auteur s’associent pour devenir quasi amis ou faire des affaires et gagner de l’argent? Tu vas me répondre que l’idéal c’est les deux bien sûr ! Je préciserais alors que, de mon point de vue, c’est parce qu’on a un objectif de travail commun, des intérêts partagés et un interdépendance financière que des relations très fortes peuvent se nouer au fur et à mesure. Mais il ne faut jamais perdre ce rapport d’affaire de vue, ni tout mélanger. Il y a un surpeuplement de gens d’une grande sensibilité dans nos métiers, d’où l’importance des relations humaines. Mais pour les préserver justement, je pense qu’il faut pouvoir être honnête et clair, le plus possible.
« Une cliente qui n’a pas travaillé depuis deux ans, ce n’est pas une cliente, c’est quelqu’un qu’on n’ose pas rayer de sa liste »*. Ces mots d’Andréa paraissent durs, mais au fond, ça sent le vécu ! Ce n’est pas notre culture de parler argent, rentabilité… ce sont des gros mots. Tout comme on ne dit jamais à un auteur qu’il est un « client », ou à un son agent qu’il est un « prestataire ». Ce serait dénigrant, réducteur, peu humain ! Et pourtant… Je suis fière d’être le prestataire de mes auteurs !
Penses-tu que le travail d’agent, tel qu’il est perçu/exercé en France, devrait lui aussi évoluer ? Si c’est le cas, de quelle façon ?
Comme évoqué plus haut, le travail d’agent manque de définition et de cadre lui aussi. Là où aux Etats Unis l’artiste a, sauf erreur de ma part, un agent (rémunéré sur commission qui a, à priori, intérêt à vendre au plus offrant, disons Mathias dans la série), un manager (que l’artiste paye directement me semble-t-il, qui vieille à la carrière et à l’artistique, disons Andréa et ses goût pour les films d’auteur) et un avocat, en France l’agent doit être tout en un ! Et ajoutons l’aspect « coach » à la Gabriel comme ça, la boucle est bouclée !
Sachant que l’auteur est censé être en exclusivité chez son agent, et que l’agent doit l’aider à trouver des contrats et les négocier, forcément, l’agent est censé avoir les compétences juridiques, fiscales et comptables, le réseau et la culture propre à chaque domaine abordés par l’auteur (l’audiovisuel, le cinéma, l’international, la BD, le web, la radio….). Et avec tout ça, l’agent doit être disponible, profondément humain et empathique, et n’avoir rien de rien de mercantile.
L’agent idéal attendu c’est donc un Bisounours hyper sympa avec don d’ubiquité et de télépathie, carte mémoire illimitée et programme de connaissance téléchargeable à volonté, totalement insomniaque, qui a endossé le costume d’Iron Man et bénéficie des vertus d’un chaudron magique qui fabrique des pièces d’or, comme ça, il reste à la cool ! A part sous hypnose ou totalement stupéfait, je ne suis pas sûre qu’on puisse le rencontrer vraiment.
Chaque agent a ses qualités et ses défauts, ses compétences et ses lacunes. Chacun exerce son métier comme il l’entend, se sont les artistes et les auteurs qui nous jugent. Parfois c’est profondément injuste et on a le sentiment qu’ils ne se rendent pas compte, d’autre fois, il serait on ne peut plus justifié qu’ils hurlent, mais ils restent quand même parce que d’autres choses se jouent et qu’il nous aiment bien. A chacun d’essayer de proposer de nouvelles solutions pour que les choses évoluent dans un sens qui lui semblent plus favorable s’il en ressent le besoin et l’envie.
Je trouverais néanmoins intéressant que la question de l’agent soit soulevée de manière collective, que nous puissions arriver à échanger entre agents et avec les talents.
En attendant, à ma mesure, je tente de répondre à des interrogations personnelles sur le métier en proposant une manière un peu différente de voir les choses à mes auteurs, adaptée à mes propres points forts et points faibles puisque je suis indépendante et travaille seule.
D’abord, c’est l’auteur le maître du jeu. Je me mets au service de ses propres objectifs. Nous en parlons, en discutons, les déterminons ensemble, mais c’est bien l’auteur reste le décideur. Et dans la mesure ou l’objectif est clair, je peux être évaluée plus objectivement. (c’est en effet assez énervant qu’un auteur vous reproche de ne pas l’avoir placé sur Plus belle la vie alors qu’il vous a annoncé viser le cinéma, d’auteur de surcroit).
En fonction de ses objectifs, je vois dans quelle mesure je peux lui être utile ou non. Si je n’ai pas le réseau ou la compétence, je lui dis. Soit il peut chercher un soutien ailleurs sur un projet en particulier (je suis contre l’exclusivité pour cela) soit nous décidons de creuser ensemble ce réseau que je n’ai pas encore. Car un réseau, ça se crée aussi en fonction d’un projet. Cela suppose toutefois que je peux lui être utile sur des projets sur lesquels je suis plus compétentes et qui m’ont convaincus.
L’auteur lui, doit avoir des projets, des idées, me « nourrir » en tant qu’agent ! D’autant plus que parmi mes lacunes, il y a le « placement d’auteurs » sur une série préexistante. Non seulement cela me semble extrêmement fermé pour le moment, je n’ai pas d’auteur qui soit actuellement directeurs de collection (ce qui facilite en général les dits placements). Je propose des noms, des CV, des expériences, mais ce n’est pas mon meilleur atout. Je suis bien plus efficace sur les projets personnels des auteurs, sans doute parce que c’est aussi ce que je trouve le plus excitant et gratifiant, ce qui me permet de créer une relation intéressante et personnelle avec les auteurs.
Je pense en effet, que si un agent se contentait d’envoyer des CV, il ne serait pas très utile, surtout à l’heure d’internet ! Les producteurs n’ont pas besoin de moi pour trouver un auteur qui a la confiance d’une chaîne et cumulé les succès. Ils les connaissent déjà et probablement bien mieux que moi !!
Notre valeur ajoutée, à nous agents, c’est de parfaitement bien connaître nos auteurs, pas seulement ce qu’ils ont fait, mais aussi et surtout ce qu’ils ont envie de faire. De connaître leurs parcours et compétences professionnelles, leur manière d’être, leur vécu pour, tout en le préservant, exploiter une sensibilité particulière face à tel ou tel sujet, le point de vue original dont ils sauront faire preuve. C’est ainsi que nous pouvons proposer aux producteurs des auteurs qui, outre la maîtrise technique, apportent une cohérence et une légitimité à un sujet abordé.
Un de mes auteurs m’a dit un jour que Synapsis était l’agence des auteurs à parcours atypiques. S’il ne faut pas minimiser les qualités d’écriture des Synapsiens, il n’est pas faux de constater qu’en effet, ils ont souvent « bourlingués », ont des histoires peu banales, viennent d’autres milieux, sont de vraies personnalités. Ils m’apprennent, me font découvrir des univers, m’ouvrent les yeux. Quand un agent doute et n’a pas de jus de carotte sous la main, ce sont ses auteurs qui le font tenir !
Lorsque l’auteur me soumet un projet, je le lis si possible rapidement (et il faut bien avouer que parfois…. Hum…). C’est donc une phase primordiale d’échanges. En fonction de mes retours et de sa réaction à ceux-ci, nous décidons si le projet peut être envoyé en l’état, doit être modifié ou réécrit. Il est important que nous soyons convaincus du potentiel et bien entendu que je sois sure de voir le film que l’auteur a écrit et pas une transposition personnelle! Nous abordons aussi l’aspect « marketing », le potentiel du projet, la manière dont nous allons le vendre. Rarement, mais c’est arrivé, je peux aussi passer totalement à côté du projet, ne pas y croire, ne pas comprendre l’intérêt et servir des yeux de loutre endormie à un auteur. Dans ce cas, c’est clair entre nous. Mieux vaut que je n’en parle pas, je le desservirais.
Nous discutons ensuite des producteurs auxquels nous avons pensé l’un et l’autre, qui envoie quoi à qui et comment. Je souligne le fait qu’il s’agit la encore d’une collaboration. Mes auteurs ont un réseau qui n’est pas le mien et inversement. Nous nous apportons mutuellement du réseau et de l’information. Il s’agit donc bien d’un échange. Et lorsqu’un auteur connaît personnellement un producteur, je crois préférable qu’il envoie lui même son projet. Je ne vois pas en quoi mon intermédiaire apporterait quelque chose, pire, cela pourrait être mal pris.
Ensuite nous attendons… nous relançons. Si un projet ne « passe » pas, bien sur, nous essayons de comprendre, d’éventuellement modifier ou d’apporter un nouvel élément. Pourquoi pas un co-auteur plus expérimenté? Un casting ? Un réalisateur ? Il faut parfois aller très loin dans l’artistique pour convaincre. Et je pense qu’il ne faut pas hésiter à oser pour défendre un projet auquel on croit. Qu’avons à perdre ? Un non ? On nous l’a déjà dit, au pire ça ne change rien ! Cela permet aussi de réamorcer l’enthousiasme sur un projet, de ne pas perdre la dynamique. Rebondir, rester créatif, le plus possible et prendre du plaisir à ce que l’on fait. Continuer de rêver malgré les portes fermées. Si la montagne ne vient pas à Mahomet, Mahomet ira à la montagne.
Dans le même sens, il m’arrive également de proposer des sujets à des auteurs. S’ils y trouvent de l’intérêt, on fonce ! Bien entendu, c’est eux qui écriront en cas de développement. Cela m’a beaucoup appris d’avoir l’occasion de « jouer » à construire une histoire. Et pour eux, c’est l’opportunité de signer un nouveau projet !
Quand vient la proposition de contrat (Yes !), ce n’est pas parce que j’ai leur confiance que je parle en leur nom sans les consulter. Au contraire. Je m’assure que nous sommes bien d’accord sur le but de la négociation, nous essayons d’évaluer la véritable marge de manœuvre et ce qui est le plus important à obtenir. En général, ça se termine en « fais au mieux ». Et lorsqu’ils me disent cela, ils me connaissent également. Ils savent que je ne suis pas l’agent de pouvoir absolu qui fait trembler le monde de l’audiovisuel et à qui on passe tout ! Peut être que d’autres auraient obtenu mieux. Peut être que d’autres auraient faits pire ou n’auraient même pas lu ou répondu. Mais c’est ensemble que nous travaillons. Et si vraiment nous n’obtenons pas les conditions contractuelles satisfaisantes, alors, nous ne signons pas ! Et on recommence !
A côté de ses relations traditionnelles, j’essaye d’apporter des petits plus qui me semblent être utiles. Malheureusement c’est très planning dépendant, mais cela peut prendre la forme d’une micro formation sur les contrats pour les plus jeunes, des newsletters, de préparations à des festivals, d’entrainement aux pitchs ou d’une pizza entre Synapsiens histoire de passer des moments de détente ensemble !
Je conçois vraiment l’agence comme une équipe. Dans la mesure où au fur à mesure d’une collaboration j’apprends à vraiment connaître chacun d’eux, pour moi les Synapsiens ne sont pas interchangeables. Ils ne sont donc pas en concurrence ! C’est un état d’esprit qui est assez apprécié des auteurs qui se montrent très rapidement solidaires et se soutiennent entre eux. On se retrouve en équipe aux festivals, on se like sur Facebook, on va aux lectures de l’un, à la projection de l’autre etc. et l’air de rien, ils ont rencontrés de potentiels co-auteurs !
Il y a comme cela tout un tas d’éléments dont les résultats concrets sont peu quantifiables qui me paraissent pourtant très importants de nos jours. Si l’auteur était une entreprise, on appellerait cela du développement commercial : communiquer sur la société, préserver ou construire son image, lui créer des opportunités de rencontres et de partenariats, assurer une veille sur le marché, maintenir et faire grandir un réseau, être identifié, proposer de nouveaux angles pour gagner en notoriété, déterminer des cibles clients, créer le désir etc…
C’est un ensemble de services qui est rarement proposé aux auteurs et sur lequel j’axe le développement de Synapsis car je trouve que cela manque cruellement. Mais cette démarche n’a pas pour visée immédiate le contrat, c’est un détour et un complément pour y arriver, d’un investissement sur du plus long terme. Pas de contrat immédiat, pas de rémunération immédiate non plus. Est ce un échec pour autant ? Est ce être un « mauvais » agent ? Les auteurs expérimentés apprécient cette manière de faire qui leur semble nouvelle et dynamisante, mais pour les jeunes auteurs, c’est plus délicat. Ils veulent et ont besoin signer des contrats rapidement. Je le comprends. Même si c’est eux qui ont le plus besoin de ce « développement commercial » en fait.
On retombe alors sur une problématique économique. Le modèle économique de l’agent, c’est 10% sur les contrats signés, payés par le producteur pour le compte de l’auteur. Or (en grossissant les traits) plus un auteur est reconnu, moins il est difficile à placer, mais plus il est payé cher et plus l’agent perçoit de commission. De même, si l’auteur est reconnu, il a des commandes, parfois sur des projets aux contrats préformatés et peu négociables (en série notamment). Dans ce cas où l’agent à peu à faire, il est bien plus rémunéré que lorsqu’il s’est battu pour décrocher une option. Enfin, si décrocher une option suppose pour l’agent de la lecture, des conseils, de la prospection et une négociation qui aboutie, ni la levée d’option ni le fait que le projet aille au bout ne dépendent vraiment de l’agent. Pourtant il sera rémunéré disons 300 euros pour l’option et dix fois plus pour la suite, pour un action très limitée et quasi administrative pour peu que le contrat de cession ait déjà été négocié.
Je trouve qu’il y a là quelque chose qui manque de logique. La méritocratie ne nous guettant pas, autant rester sur sa chaise à attendre que les contrats tombent : c’est plus rentable ! Ou alors, c‘est que le métier d’agent dérive vers celui d’un avocat cumulé à un administratif. On me rétorque souvent à cela que lorsque l’agent perçoit des commissions importantes alors qu’il n’y est pas pour grand chose c’est pour compenser tout ce qui a été fait gratuitement pour un auteur. Ok, mais soit il faut s’assurer que la commission importante arrivera vraiment un jour, soit on a intérêt à avoir beaucoup travaillé gratuitement parce que cela fait quand même parfois très cher payé la compensation ! Non ?
L’autre argument soutenant le modèle en place, c’est souvent que « les gros payent pour les petits ». Si un agent perçoit « facilement » des commissions importantes d’un auteur reconnu, cela lui permet de s’occuper d’un jeune qui n’est pas rentable. Ah ? Mais il est où le quota obligatoire de petits jeunes ? Le « gros » ont d’autres moyens de parrainer le « petit » : monter avec lui sur un projet, lui permettre de la vendre et de le développer. C’est très efficace et au moins le « gros » à l’avantage de choisir son filleul.
Que ce soient des « gros » ou des « petits », si les auteurs payaient leurs agents en direct, avaient physiquement un chèque ou un virement à faire régulièrement, je pense que les rapports seraient bien différents. Ceux qui n’auraient pas de commission à verser (parce que pas de contrat signé) se montreraient sans doute plus tolérants avec leurs agents bénévoles. Et avec ceux qui auraient au contraire de gros montants à payer, nous aurions peut être l’occasion de déterminer objectivement la valeur de tel ou tel service, ce que rémunère véritablement ces 10% et/ou d’envisager d’autres systèmes de rémunérations. Le client, définit par celui qui « paye » serait clairement l’auteur, et l’agent ne serait plus soupçonné de travailler pour le producteur. L’auteur ne démarcherait un agent que s’il est vraiment prêt à s’investir dans sa carrière.
Mais l’auteur n’étant pas une entreprise et n’ayant pas un statut qui lui permette de déduire le coût de son agent de ses frais professionnels (ce qui me paraitrait on ne peut plus logique !), lui facturer une prestation en direct est extrêmement délicat. Le conflit entre la rentabilité de la société et l’importance de la relation humaine ressurgit très vite. Pour ma part, je sais qui gagne.
Les usages font lois, mais peut être qu’un jour, ce point de vue sans doute choquant pour certains pourra être discuté posément. J’en serais ravie : soit je comprendrais enfin pourquoi j’ai tort, soit nous commencerons à bouger les lignes ensemble.
Certaines s’assouplissent d’ores et déjà, notamment concernant l’exclusivité et j’y suis plus que favorable. De plus en plus d’agents acceptent qu’un auteur soit représenté par son agence pour l’audiovisuel et le cinéma par exemple, mais par une autre agence pour le théâtre, et donc que les domaines d’intervention soient distingués. Selon moi c’est une bonne chose puisqu’un même agent ne peut raisonnablement pas être efficient partout, sur tout.
En ce sens, je rêverais de proposer aux auteurs d’être représentés par plusieurs agents spécialisés au sein d’une même agence. Leurs projets (théâtre, cinéma, web, télévision, doc…) seraient répartis au sein de l’équipe en fonction de la spécialité de chacun et c’est en équipe que nous pourrions véritablement accompagner la carrière de l’auteur, sur l’ensemble de ses œuvres. Quelqu’un a un petit million à investir dans de grandes idées ?
Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui songe à devenir scénariste ?
N’ayez pas peur des tomates, soyez convaincus et battez vous avec enthousiasme pour ce en quoi vous croyez ?! Soyez passionnés !
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