Un après-midi avec Damien Chazelle

Hier j’ai eu le privilège d’assister à une passionnante masterclass organisée par l’association 1000 visages. En cette période de stress intense d’avant tournage, je dois dire que l’expérience fut salvatrice… et troublante!

La vie est pleine de belles rencontres, et de surprises. Alors que je nage dans un océan de bonheur mais de stress, préparant le tournage de mon court-métrage, et le casting de mon long, voici qu’un ami m’a fait un très joli cadeau en m’incrustant à cette masterclass, lucky me!

Créé par la cinéaste Houda Benyamina, l’association 1000 Visages a pour objectif de faciliter l’accès à la culture, et aux professions du cinéma, pour les jeunes qui en sont éloignés pour des raisons sociales, économiques et territoriales. Le dispositif CINÉTALENTS permet à des jeunes de 12 à 25 ans de découvrir toutes les étapes de réalisation d’un film, de l’écriture de scénario jusqu’à l’envoi en festival. Encadrés par des professionnels du cinéma, les jeunes sont initiés à l’ensemble de ces métiers, devant et derrière la caméra. Ils bénéficient également de masterclasses, dont celle qui été organisée hier, au Forum des Images.

Ceux d’entre vous qui me connaissent, ou me suivent sur les réseaux sociaux, ont du noter une certaine obsession de ma part pour La La Land (déjà vu 13 fois sur grand écran, hem), et First Man (je suis passionnée d’astronomie depuis l’enfance). Bref, depuis Whiplash, Damien Chazelle me fait beaucoup de bien. J’aime l’audace avec laquelle il embrasse un sujet, qui semble pourtant rebattu pour totalement le réinventer. J’aime encore plus la sincérité extrême avec laquelle il aborde les projets les plus ambitieux. Il a beau nous expédier dans les étoiles, que ça soit celles d’Hollywood ou de l’espace, il le fait toujours à hauteur de personnage, et ça, c’est très fort.

Imaginez mon bonheur, de passer trois heures en sa compagnie! D’autant que la masterclass, brillamment modérée par deux jeunes femmes membres de l’association, était entièrement dédiée à la réalisation. Damien Chazelle a évoqué avec chaleur et générosité la façon dont il aborde l’écriture, la préparation et le tournage, le travail avec les comédiens, le montage et la promo (qu’il déteste). Musicien de formation (Whiplash est largement autobiographique), il a bien entendu longuement évoqué sa collaboration avec son compositeur, Justin Hurwitz, qu’il connait depuis la fac. Dans l’extrait qui suit, il explique à quel point la création musicale s’est imbriquée dans l’écriture de La la land:

httpvh://youtu.be/3D1PqjcYveQ

Cet aspect fait écho avec ma propre expérience, puisque j’ai eu la chance de pouvoir terminer l’écriture de mon film Le têtard en écoutant les maquettes de la future BO, composée par Olivier Deparis. Avoir ces morceaux en amont sera précieux pour diriger mes acteurs. Je compte travailler avec ce même compositeur, et la même méthode, pour mon long-métrage.

Autre point troublant: la façon dont Damien Chazelle a pu tourner Whiplash, économiquement et stratégiquement parlant, correspond en tous points avec ce qui vient de se passer pour mon long-métrage. Il s’est fait envoyer à la gueule son scénario pendant des années, car son premier film, autoproduit et singulier, déplaisait aux studios (dans mon cas c’est le sujet du script qui dérangeait). Il l’a finalement fait lire à un producteur pour lequel il bossait en tant que scénariste, et qui faisait des films très commerciaux, à des années lumières de l’univers du projet. Mais le dit producteur a eu un coup de foudre pour le texte, il croyait au talent de Chazelle. Alors il s’est démerdé pour que le film se fasse, en s’associant avec les bonnes personnes. Ce partage d’expérience, au moment même où je signe pour « mon film au sujet qui dérange », m’a mis plus que du baume au coeur… 😉

Troisième signe sympathique, j’ai découvert que First Man s’est tourné quasiment sans effet spéciaux, les scènes lunaires, par exemple, on été shootées en extérieur, de nuit, avec un gros projo simulant la lumière directe et froide du soleil, basta. C’est très rassurant pour moi, qui prépare un second long-métrage à petit budget… sur un cosmonaute. Il se pourrait d’ailleurs que j’aie trouvé une prod, mais ça c’est une autre histoire… #teasingdelamortquitue

Loin de moi l’idée de me comparer à ce cinéaste de génie, ni de rêver d’une carrière comparable à la sienne. Mais c’est rassurant, et précieux, de constater qu’il existe une façon de faire des films en dehors de la marge et de la « pensée unique ». Malgré le parcours bluffant de Damien Chazelle, il ne compte pas, selon ses propres mots, comme un cinéaste puissant, en terres Hollywoodienne. La la land a été un triomphe, mais First Man a rapporté très peu d’argent. Il apporte cependant un vent de fraicheur à une industrie ultra formatée. La série qu’il vient de signer pour Netflix, The Eddy, est considérée comme « évènement ». Houda Benyamina, qui a réalisé quelques épisodes, nous a assuré que cette fiction va révolutionner le genre, et on la croit sur parole.

Ce qui me fait vibrer, chez ce jeune cinéaste, c’est qu’il n’a rien d’un « visionnaire » autoproclamé, à la Christopher Nolan ou Nicolas Winding Refn. Il ne cherche pas à écrire sa propre légende. Il n’intellectualise pas son écriture et sa mise en images. J’ai ri, en l’écoutant raconter comment il a improvisé l’usage de certaines couleurs des décors de La la land (notamment l’appartement vert à la Vertigo), quelques heures avant de tourner. Quand je pense aux dizaines de brillantes analyses vidéos qui circulent sur YouTube pour nous expliquer la dimension psychanalytique de la chose! Bref, Damien Chazelle est un cinéaste, certes érudit et bosseur, mais qui crée surtout avec ses émotions, et en écoutant ses rêves. C’est pour ça que ses films me touchent.

Il nous a d’ailleurs livré un conseil que je compte bien appliquer à la lettre: « si un cinéaste fait du bon travail, il n’aura jamais, quel que soit le budget, assez d’argent pour le film ». 😉

Un immense bravo à toute l’équipe de 1000 Visages pour ce moment précieux, un immense merci à Damien Chazelle, qui n’a pas compté son temps, et à M., une fois encore, qui se reconnaitra.

Copyright©Nathalie Lenoir 2019