Les livres qui ont sauvé ma peau (de scénariste), volume 2
Voici les autres ouvrages qui m’ont permis de traverser bien des orages et crises existentielles, professionnellement parlant, ce qui n’est pas une mince performance… 😉
Après les trois ouvrages emblématiques ayant trait à la créativité, en voici cinq autres, plus axés sur l’histoire du cinéma et ses conséquences sur le/la scénariste:
Le Nouvel Hollywood /Sexe, mensonges et Hollywood / Mon Hollywood de Peter Biskind. Edités au Cherche-Midi et disponibles en version poche.
Peter Biskind a été rédacteur en chef de la version américaine de Première. Il écrit également pour Rolling Stone, Vanity Fair, The New York Times, The Los Angeles Times et The Washington Post. S’il est bien des ouvrages dont je recommande la lecture à ceux qui bossent pour le cinéma, auteurs et cinéastes en tête, c’est le triptyque qu’il a signé. Non seulement il y décrypte avec acuité (et un féroce sens de l’humour) l’histoire hollywoodienne, mais il éclaire les lecteurs au sujet de la politique des gros, moyens et petits studios de la grande usine à rêves.
Après avoir lu ces savoureux bouquins, qui se dévorent comme des romans, on comprend mieux le désastre artistique du cinéma américain du troisième millénaire. On appréhende aussi mieux notre propre situation hexagonale, tout aussi critique à force de vouloir copier le système US dans ce qu’il a de pire, un marketing sans âme ni audace. Bref, on rêve et rit beaucoup en parcourant ces trois tomes, mais carrément vert… 😉
Le Nouvel Hollywood retrace la décennie 70, quand une nouvelle génération de cinéastes (Steven Spielberg, George Lucas, Martin Scorsese, Roman Polanski…) se rebellent contre le formalisme, tant technique que narratif, des grands studios, sous l’égide d’une poignée de leurs ainés, Francis Ford Coppola en tête. Après avoir donné naissance à des films d’une inventivité et une profondeur incroyables, cette nouvelle vague connait une scission au moment où ses oeuvres deviennent (très) rentables: Spielberg, Lucas et quelques autres inventent le marketing épique (objets dérivés, spin-off, novélisation…) et deviennent les rois du pétrole, tandis que les artistes « pur jus » (Coppola, Scorsese, Cimino…) refusent tout compromis artistique et se retrouvent plus ou moins sur la touche.
Après des années quatre-vingt plus que décevantes d’un point de vue cinématographique, Sexe, mensonges et Hollywood relate le second âge d’or du cinéma indépendant, les années quatre-vingt-dix, quand le film Sexe, mensonges et vidéo de Steven Soderbergh sauve à la fois un festival de Sundance moribond après dix années d’existence et la compagnie Miramax, à deux doigts du dépôt de bilan. Après une décennie d’audace créative, les gros sous vont, une fois encore, tout flanquer par terre.
A noter, pour ceux qui découvrent (ou font semblant) les petits travers d’Harvey Weinstein, qu’ils sont évoqués sans détour dans cet ouvrage (paru en 2000).
Mon Hollywood, enfin, regroupe une série de chroniques de Peter Biskind, qui décryptent les relations incestueuses entre cinéma et politique, à travers des portraits savoureux des grandes figures hollywoodiennes (cinéastes, producteurs, agents…). Tout est « bigger than life » outre Atlantique, quiconque travaille dans le cinéma sur notre sol sera frappé néanmoins par de grosses similitudes, et pas au meilleur sens du terme…
Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qu’il lui arrive de Christophe Donner. Edité par Grasset et disponible en poche.
Et en parlant de figures hautes en couleur, l’ouvrage de Christophe Donner redonne vie au producteur Jean-Pierre Rassam, personnage flamboyant et torturé. Arrivé au cinéma un peu par hasard, pour « rendre service » à son beau-frère, Claude Berri, il a accompagné le travail de Jean-Luc Godard, Robert Bresson, et permis à des oeuvres singulières, ambitieuses, voire politiques, de voir le jour: La Grande Bouffe de Marco Ferreri, Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil de Jean Yanne, Tess de Roman Polanski, Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat…
Cette biographie drôlissime est double, car elle s’attache à la relation d’amour/rivalité/haine entre Rassam et Claude Berri. Elle dévoile les dessous, pas toujours propres, de cette dynastie mythique, mais aussi du cinéma des années soixante-dix. Un milieu qui a évolué, mais pas tant que ça. La tentative d’OPA de Rassam sur la Gaumont, et ses conséquences explique bien des choses.
Cerise sur le gateau, le bouquin offre un précieux témoignage de la lente déréliction de l’objet scénario, en France. De Godard et ses scénarios de quatre pages, ou écrits le matin du tournage, sur des petits bouts de papier, à Jean-Pierre Rassam et sa philosophie au sujet de l’écriture (lors d’un entretien avec Marco Ferreri):
« Je ne lis pas les scénarios. Soit le texte est bon et ce sera toujours meilleur que le film. Soit il est mauvais et ce n’est pas à moi de dire comment en faire un bon film. »
A la conquête d’Hollywood (The Devil’s Guide to Hollywood: The Screenwriter as God) de Joe Eszterhas.
Véritable manifeste punk du scénariste, avec la dose de mauvaise foi que cela implique, et quelques relents misogynes dont à titre personnel je me serais bien passée (Sharon Stone doit avoir sacrément les oreilles qui sifflent).
Joe Eszterhas a un énorme ego, mais son regard féroce et drôle sur les dérives de l’industrie hollywoodienne est précieux en cette ère de quasi pensée unique.
Tout le monde en prend pour son grade : studio executives, acteurs, réalisateurs, journalistes, script gurus (il a une très grosse dent contre Robert McKee). Entre deux fanfaronnades, Eszterhas admet que son ego et son caractère de cochon lui ont joué bien des tours. Son guide a de gros accents revanchards mais il a le mérite de remettre l’écriture à sa place, c’est-à-dire au cœur de la création d’un film. Certains prennent, à tort, son ouvrage comme un simple brulot dans lequel il règle ses comptes, mais c’est avant tout une lettre d’amour au cinéma et à l’écriture. Et puis, qu’est-ce qu’on se marre, must read!
Parmi les conseils de Joe Eszterhas à ses confrères scénaristes:
Ne mâchez pas vos mots. Si l’idée que vous suggère un exécutif est merdique, ne dites-pas « Et bien c’est intéressant, mais… » Dites « C’est vraiment une idée merdique. » Les personnes à qui vous avez affaire ne sont pas stupides – elles sont juste futiles. Au fond de leurs coeurs elles savent que cette idée est merdique.
Mentez toujours au sujet de votre premier jet. J’ai prétendu que je travaillais sur le scénario de Basic Instinct depuis des années lorsque je l’ai vendu pour une somme record. Lorsque le film est devenu le plus gros succès commercial de l’année 1992, j’ai dit la vérité: il m’a fallu treize jours pour l’écrire.
Ne laissez pas les bâtards vous descendre. Si vous ne parvenez pas à vendre le scénario, ou si vous vendez le scénario mais qu’ils engagent un autre scénariste pour le massacrer, ou si le réalisateur s’attribue tout le mérite de l’écriture dans les interviewes, ou si les acteurs prétendent avoir improvisé vos meilleurs répliques, ou si vous êtes mis à l’écart des conférences de presse, asseyez-vous simplement et écrivez un autre scénario. Et si la même mésaventure vous arrive avec celui-là, écrivez-en un autre, et un autre et encore un autre, jusqu’à ce que vous en ayez un qui soit porté sur grand écran par un réalisateur, mais avec votre propre vision.
Des conseils à méditer mais à ne pas forcément prendre au pied de la lettre donc… 😉
Copyright©Nathalie Lenoir 2018