Comment choisir son/sa co-scénariste?

L’écriture de scénario est collaborative par essence, que ce soit au cinéma, où le scénariste co-écrit en général avec le réalisateur, ou à la télévision, surtout en matière de séries télévisées qui s’écrivent de plus en plus souvent en atelier. Le scénariste n’a pas toujours le choix de son/ses co-auteur(s), ce qui peut s’avérer pour le moins… anxiogène. 😉

Car idéalement il est préférable d’élire soi-même la ou les personnes avec qui s’embarquer dans l’aventure d’un scénario. Encore faut-il bien le(s) choisir…

Est-il encore besoin de le rappeler? Un scénario n’a rien d’une oeuvre romanesque, c’est un outil qui servira à tous les intervenants de la future oeuvre filmée. Dans les faits le scénariste professionnel travaille essentiellement à la commande: un producteur l’engage pour travailler sur tel ou tel projet, avec tel(s) ou tel(s) partenaires d’écriture. Nous ne nous intéresserons dans cet article qu’aux scénarios écrits on spec, c’est à dire à l’initiative d’un(e) scénariste.

Certains auteurs préfèrent travailler seuls le plus loin possible dans l’élaboration du texte, d’autres au contraire aiment concevoir l’écriture à quatre, voire six mains dès la genèse du projet. C’est là en général que les choses se gâtent… 

La co-écriture est un peu comme un mariage, elle nécessite un savant mélange de compatibilité et complémentarité et le tandem va être mis, au cours du process, à très rude épreuve. Il est impossible de prévoir à l’avance comment se déroulera la création à quatre mains et deux têtes mais disons que bien des facteurs préliminaires permettent d’optimiser les chances que l’aventure reste harmonieuse. 

Décider d’écrire avec quelqu’un parce qu’on trouve cette personne sympathique, qu’on rigole bien avec, ou même qu’on a pas mal de goûts communs est quasi suicidaire. L’écriture est un vrai travail, elle implique une prise de risque, elle est chronophage et a pour but premier de gagner sa croute. Bref, vous placez (tout du moins en partie) votre avenir professionnel dans les mains de votre futur(e) partenaire d’écriture, d’où l’intérêt de ne pas se planter. Choisir un(e) ami(e) de longue date n’est pas moins risqué: vous connaissez cette personne dans la sphère intime, mais l’avez-vous déjà côtoyé(e) dans le cadre du travail?

Voici quelques questions à vous poser sérieusement avant de vous embarquer dans une écriture collaborative:

  1. Avez-vous le même rythme de travail que cet(te) auteur(e)? Pour qu’une co-écriture soit épanouissante, elle doit être équitable dans l’investissement.

  2. Avez-vous la même disponibilité horaire? Certains wannabe auteurs exercent un travail alimentaire « en attendant que ça marche ». Tous les auteurs professionnels jonglent entre plusieurs projets. Dans un cas comme dans l’autre, votre writing partner doit pouvoir consacrer le temps nécessaire à ce projet collectif.

  3. Avez-vous des façons de travailler compatibles? Si l’un ne jure que par les séances de visu et l’autre sur le « ping-pong » par mails, vous êtes mal barrés… 

  4. Avez-vous les mêmes ambitions, le même investissement, vis à vis du projet? Parce que c’est bien gentil de lancer un sujet, mais encore faut-il, d’une le mener à son terme et de deux, se battre pour le vendre…

  5. Vous voyez-vous collaborer avec cette personne sur la durée? Car certains projets mettent très longtemps à voir à le jour, ils nécessitent moult réécritures…

  6. Quelle plus value votre co-auteur apporte t-il au projet? Et ne venez pas me répondre que c’est agréable de passer du temps ensemble. Comme dans n’importe quelle association professionnelle, chaque partie doit apporter une pierre à l’édifice, qu’il s’agisse d’un champ d’expertise technique, d’une connaissance sur tel ou tel sujet, voire d’un carnet d’adresses. Cette complémentarité des auteurs est ce qui les rendra légitimes en tant que tandem face à un producteur. Sinon le moins compétent des deux risque de se faire débarquer du projet.

  7. Travaillerez-vous sur un pied d’égalité avec votre co-auteur(e)? Vos niveaux d’expériences sont-ils équivalents? Saurez-vous, l’un(e) comme l’autre, accepter réciproquement la critique?

  8. Les frais inhérents au projet seront-ils équitablement répartis? Qui dit nouveau projet dit documentation (livres à lire, films et documentaires à voir…), voir repérages. Un spec-script nécessite un dépôt légal de l’oeuvre, des frais d’impression/reliure et d’affranchissement lors des démarches.

  9. Les agents des divers co-auteurs travailleront-ils en bonne entente? Ca en général c’est très simple, à condition de tenir toutes les parties bien informées de avancement du chantier.

  10. Vos caractères sont-ils compatibles? Non parce que ça compte, forcément.^^

Si vous répondez, ne serait-ce qu’un seul « non » à ce questionnaire, je vous recommande vivement de jeter l’éponge. La meilleure façon de vous assurer une collaboration pérenne, c’est d’établir un accord préalable avec votre co-auteur(e). Définissez, si possible par écrit, le pourcentage que chaque auteur percevra sur le projet, et à chaque étape de son écriture. C’est ce qu’on appelle dans le jargon une fiche généalogique de l’oeuvre. Il est d’usage que l’auteur qui amène l’idée initiale obtienne 10% du projet en tant que tel (le reste de l’écriture étant divisée équitablement en autant de parts qu’il y a de co-auteurs) et en soit le leader. Car oui, il faut impérativement que l’un(e) des scénaristes soit habilité(e) à avoir le dernier mot en cas de désaccord entre auteurs, mais aussi au moment des démarches avec un producteur/diffuseur.

La fiche généalogique vous permettra également d’éviter tout conflit si l’un(e) des co-scénaristes décide de quitter le projet, à un moment ou un autre: son partenaire aura la liberté de poursuivre seul(e) les démarches mais si le projet voit le jour, l’auteur « débarqué » sera rémunéré au prorata du travail effectué.

Tout cela vous semble un poil procédurier? Songez au nombre de projets qui meurent à la suite d’un clash entre co-auteurs, ou tout simplement parce que l’un d’entre eux n’a plus le temps/l’envie de poursuivre? Si aucun accord n’a été défini en amont, l’auteur restant ne peut rien faire de son texte sans l’accord de l’autre, qui étrangement ne veut pas poursuivre l’aventure mais a rarement envie qu’elle continue sans lui… 

Si la co-écriture avec un réalisateur est à géométrie variable, croyez-le ou non, celle qui implique deux, voire trois, scénaristes est encore plus délicate. Entre auteurs on est pourtant sensés « parler le même langage », c’est sans compter les histoires de motivation, d’attitude et d’ego… J’espère que ces quelques conseils vous éviteront quelques douloureuses expériences en la matière. 

Copyright©Nathalie Lenoir 2019