Les scénaristes qui m’ont influencée

Le magazine Vulture a sondé quarante scénaristes hollywoodiens influents afin de dresser un classement -forcément subjectif- des cent maitres absolu en matière de dramaturgie. La liste est orientée, mais intéressante, et m’a donné envie de rendre hommage à mes propres mentors

Tout subjectif que soit le classement publié par Vulture, on ne peut nier que les cent scénaristes mis à l’honneur ont eu une influence majeure, à Hollywood en tous cas. Y figurent essentiellement des auteurs « maison », toutes générations confondues, une poignée d’auteurs européens (mais aucun français), un auteur japonais. On ne compte que onze femmes, treize avec les soeurs Wachowski, encore hommes lors de l’écriture et la vente des scripts mentionnés.

Voici donc ma liste, sans aucune notion de classement (comment juger un auteur meilleur qu’un autre?), mais plutôt de chronologie dans mon parcours d’auteure.  Il ne s’agit pas simplement de mes scénaristes favoris (il en manque un paquet), mais de celles et ceux qui ont influencé ma propre écriture:

Enfance

Charles Chaplin:  je déteste les scénarios bavards, complaisants, mal rythmés. Quel meilleur maitre que le roi du muet pour apprendre la pratique d’une narration subtile et visuelle? Je suis également marquée, depuis l’enfance, par la dimension humaniste, sociale, engagée, de ses films.

Steven Spielberg: il est bien plus cinéaste que scénariste, mais sa façon, justement, de raconter en images m’a beaucoup influencée. Je pense notamment à E.T. (écrit par Samantha Mathison), et Jaws (écrit par Peter Benchley et Carl Gottlieb). Et en tant que « vrai » scénariste, Poltergeist est une belle leçon de d’exposition et caractérisation. Et que dire de Close encounters of the third kind, cette manière incroyable de mêler la petite histoire des protagonistes à la grande, celle de l’Humanité? Bref, si j’ai fini par décrocher (ses films post A.I. m’ennuient), je dois énormément à tonton Spieby. 🙂

François Truffaut: comme je vous l’ai déjà raconté, j’ai eu la chance  d’avoir accès au cinéma dès ma plus tendre enfance, et si je n’ai pas tout compris au premier visionnage, L’homme qui aimait les femmes et Jules et Jim m’ont fascinée. Et que dire de La nuit américaine? Il y a une vérité dans ses personnages qui a rarement été égalée.

Claude Sautet: un peu pour les même raisons que Truffaut, c’était un vrai sociologue, cet homme-là, et si on taxe parfois son cinéma de bourgeois, il nous a offert des héroïnes d’une modernité bluffante, en particulier quand elles ont les traits de l’inoubliable Romy Schneider.

Alfred Hitchcock: qui n’était pas souvent le scénariste de ses films mais ils s’entourait des meilleurs. Il m’a, lui aussi, donné une leçon magistrale de narration visuelle, de rythme, d’ironie et tension dramatique. Mais là j’enfonce une porte ouverte, quel(le) scénariste n’a pas appris grâce à lui? 😉

John Carpenter: je suis, depuis l’enfance une mordue de films d’horreurs. Comment dire? Halloween, The Fog, Eyes of Laura Mars

Sam Shepard: parce que Paris Texas, quoi. Je ne me remettrai jamais de ce film, au meilleur sens du terme.

Jean-Jacques Beineix: car son adaptation de 37°2 le matin (vu en cachette, forcément), et dans une moindre mesure, son Diva m’ont fait murir très vite, artistiquement parlant. 🙂 Un peu plus tard, il y eut Les amants du Pont-Neuf de Leos Carax.

John Hughes: l’auteur qui m’a donné envie, enfant, de devenir ado, qui m’a totalement laissée de marbre, une fois ado (je n’aime que ses films des années 80). Une fois auteure, mes écrits tournant beaucoup autour de l’adolescence, j’a revu les cultissimes Pretty in Pink, The Breakfast Club et Sixteen Candles et j’ai reçu une incroyable leçon de caractérisation.

Winnie Holzman : dans le même registre, dont la série My so called life reste aujourd’hui encore, un de mes Graal télévisuels. Le drame, en France, c’est que nos diffuseurs DETESTENT la chronique, alors que c’est un des meilleurs outils sériels (cf les récents bijoux Girls et Casual). Et moi, c’est EXACTEMENT ce que j’aimerais écrire pour le petit écran, ce qui explique que je ne travaille plus que pour le grand. 😉

Adolescence

Gus Van Sant: S’il ne devait rester qu’un auteur-cinéaste à mes yeux, ce serait lui. Depuis mon adolescence, il guide ma passion cinéphile et c’est lui sans conteste qui m’a poussée à me lancer dans une carrière de scénariste & réalisatrice.

Jean-Luc Godard, années soixante: le JLG post Nouvelle Vague me laisse de marbre, mais ses premières oeuvres, que j’ai découvertes quand j’étais apprentie comédienne, m’ont tout simplement frappée en plein coeur. Cette approche nihiliste des personnages, dont l’intrigue suit les états d’âme plutôt que l’inverse, cela me parle, aujourd’hui encore. Et sa muse la plus emblématique est aussi la mienne. Ma grande fixette, c’est de parvenir à insuffler cette liberté au sein d’une intrigue structurée. Oui je sais, c’est compliqué. 😉

Robert Altman, encore une découverte de mes années d’actrice. Short Cuts m’a appris le récit déconstruit, et m’en a donné le goût. The Player a enfoncé le clou.

Vie d’auteure

Jane Campion: elle écrit avec un mélange de crudité et de pudeur (comme quoi c’est possible) les émois de ses personnages, leurs failles, leurs obsessions. Plutôt que de faire une école de cinéma, elle a étudié la sociologie et le peinture, grand bien lui en a pris. ^^

Larry Clark: bon d’accord, ce n’est pas le scénariste du siècle, et ses premiers films, pour lesquels il s’est associé à un co-auteur, ont plus de fond. N’empêche que c’est un de mes héros, l’un de ceux qui en me bousculant m’ont donné envie de créer moi-même.

Gregg Araki: alors lui, c’est tout le contraire de Larry C. Il s’est bonifié avec l’âge, en matière de style comme d’écriture. Mention spéciale pour Mysterious Skin et White Bird in a blizzard, qui est l’une de meilleures adaptations littéraires que j’aie vues à ce jour.

Alan Ball: qu’il s’agisse de cinéma (American Beauty) ou de télévision (Six Feet Under), c’est un de mes grands maitres es caractérisation. Point.

Paul Thomas Anderson: ok le garçon est un poil mégalo. N’empêche que c’est un digne héritier d’Altman, en matière de film choral/récit déconstruit et j’ai beaucoup appris de ses premiers films.

Hirokazu Koreeda : j’aime énormément le cinéma asiatique, notamment lorsqu’il vient du Japon. C’est, à ce jour, l’auteur dont je me sens le plus proche, en terme de thématiques, et de traitement narratif.

Wes Anderson: l’autre Anderson, à qui je voue un amour absolu. Je ne peux pas dire que je sois proche de son univers, car il est unique. Mais il m’émeut à un point indicible et me met en confiance pour creuser mon propre sillon, en dehors de toute tendance ou argument marketing. Et ça fait du BIEN. 😉

Edgar Wright: qu’il co-écrive avec Simon Pegg la jubilatoire Cornetto trilogy, ou qu’il écrive, en solo, le très stylé Baby Driver, le sieur Wright m’offre une leçon d’humour, de rythme, et de coolitude.

Judd Apatow et Paul Feiggrâce à eux, je sais qu’on peut allier comédie frontale et émotion. Leurs personnages sont d’une justesse dingue, ce qui les rend universels. Apatow a produit la génialissime série Freaks and Geeks créée par Feig et, plus récemment, Girls de Lena Dunham. Il a lui-même écrit les fabuleux The 40 Year Old VirginKnocked Up et This Is 40. Ensemble, ils ont permis à deux talentueuses scénaristes/comédiennes Kristen Wiig et Annie Mumolo, de porter à l’écran Bridesmaids. Coeur avec les doigts pour cette fine équipe.

Diablo Cody: dans le même esprit que le tandem précédent, mais encore plus proche de mon univers se situe Brook Michele Busey alias Diablo Cody. Juno bien entendu, mais aussi Young Adult et la déjantée série United States of Tara (produite par tonton Spielby, la boucle est bouclée). Quand cette scénariste d’origine non identifiée a été propulsée, en l’espace d’un film, au firmament hollywoodien je me suis dit « merde c’est donc possible ». De quoi donc, me demanderez-vous? Et bien d’écrire sur et pour des ados qui n’ont jamais vieilli. 🙂

Paul Laverty: le scénariste attitré de Ken Loach m’impressionne, de film en film, par sa capacité à raconter notre société inhumaine à travers des personnages qui le sont, eux, justement, pour le meilleur ou le pire. Du grand art.

Abi Morgan: l’une des plus grandes scénaristes de sa génération, à mes yeux. Tout aussi capable de se frotter aux mécanismes sériels que du biopic, au cinéma. Et Shame est l’un des meilleurs scénarios qu’il m’ait été donné de lire, et de voir porté à l’écran. Bouleversant, avec une telle économie de mots!

Andrea Arnold: l’une des auteures-cinéastes dont je me sens la plus proche, incontestablement. Depuis Fish Tank, son cinéma me porte. Je suis raide amoureuse de son écriture subtile mais frontale, de ses personnages terriblement humains, avec tout ce que ça comporte d’ambivalent, de pathétique et de cruel. Malgré des thématiques et décors souvent glauques, l’oeuvre de cette cinéaste est un hymne à la vie et à l’amour, dans ce qu’ils ont de plus viscéral.

Voila. J’aime quantité d’autres auteurs, mais ce sont celles et ceux qui m’ont aidée à forger, puis à affirmer, mon propre style, mon univers. 🙂

Copyright©Nathalie Lenoir 2017